mercredi 23 janvier 2019

Discussion avec ma colocataire indienne



Dans le village où j'arrive, c'est... vraiment un village! Petites cahutes blanchies à la chaux, rues non bitumées, et, il faut bien le dire, des ordures un peu partout, désert tout autour, quelques cultures... Heureusement, la petite étudiante en textile déjà présente sur les lieux est adorable et m'accueille chaleureusement. Le soir même, nous avons une discussion sur la tradition textile en Inde. L'asso où nous nous trouvons promeut la culture et l'artisanat, dans un objectif de pure préservation de cet art. Nikita, c'est son nom, me parle d'une autre asso qui commercialise les créations des artisans, mais en les réinterprétant pour les besoins du commerce, quitte à sacrifier la qualité et la précision, qui comme tout, ont un prix trop élevé pour les exigences du marché. Ainsi pour elle, il ne faut absolument faire aucune concession sur la qualité des broderies notamment, ce qui entraînerait une perte définitive des savoir-faire, mais plutôt faire des choix sur les quantités de parties brodées sur un vêtement. En effet, la notion de prix est une donnée nouvelle et incompréhensible d'un point de vue artistique, ces broderies n'ont pas de prix, tout simplement parce-qu'elles sont pensées comme une oeuvre, une réalisation de soi et de sa spiritualité et non comme des objets dénués de sens et de mysticisme.

broderie.

Il s'avère également que pour des besoins tout aussi commerciaux, les artisans "travertissent" leurs motifs et leur façon de broder. En effet, la distinction entre "artisans" et "ouvriers textiles" est floue pour beaucoup, et la tendance à effectuer des commandes avec des demandes très précises venues de bureaux de tendances a tendance à priver les artisans de leur autonomie artistique. En effet, pour maintenir les traditions textiles, toute la subtilité du travail est de réussir à repartir exactement du savoir des artisans, qui oeuvrent en réalité en tant qu'artistes, et non de vouloir seulement utiliser leur savoir faire technique. En réalité, l'art de la broderie m'apparaît comme un moyen d'expression artistique et pratiquement mystique, c'est un art digne et spirituel, qui élève celui ou celle qui la pratique. C'est un instant entre un être humain et le sublime, une méditation créative qui fait le lien entre la vie terrestre et la vie spirituelle, entre les mains et l'esprit. Ne dénaturons pas ces instants par notre soif d'appropriation et de rentabilité. Ces savoir-faire sont fragiles, et leur fragilité même leur confère une dimension humaine et spirituelle qui nous dépasse et qui inspire le respect et l'humilité. Je crois que c'est cette fragilité qui est émouvante, cette fragilité qui point à travers les légères imperfections et asymétries qui habitent les broderies comme les reflets discrets de l'âme qui a oeuvré et révèlent le caractère et les émotions de leurs auteurs.

habit traditionnel.

C'est pourquoi le processus de création doit peut-être s'envisager dès le départ comme un travail commun: le designer va donner une impulsion émotive et artistique, reflet de son univers personnel, en proposant un modèle et des motifs cohérents avec la contemporanéité du vêtement, tandis que la brodeuse va utiliser ce support pour interprêter librement les motifs, et, à travers ses choix de points, de couleurs et de composition, va exprimer sa sensibilité propre et sa vision. Seuls un dialogue des créativités et une certaine marge de libre interprétation peuvent engendrer un résultat qui respecte la tradition et l'inscrive dans une nouvelle perspective afin de lui permettre, peut-être, de survivre.

premier croquis.
 

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