Well,
il a bien fallu bouger de Delhi à un moment ou à un autre, au risque de
m'encroûter pour de bon...! Après 9 jours à glander à l'auberge, à
prendre des cours de yoga dans un centre bobo et apprendre à connaître
le personnel de l'hôtel, bières sur le toit avec Maddhu, Guddu, Prakash,
Arushi et Ginoy, une ambiance majoritairement masculine, je prends un
bus pour Jaipur (eh oui, à nouveau, mais c'est là que ça se passe),
direction une résidence où je peux prendre des cours de block print et
de broderie.
J'arrive
dans une ambiance tout à fait différente, chez la divine Devena, une
femme très femme de la haute société de Jaipur, tout en saris
magnifiques et bijoux travaillés, qui nous initie, moi et les autres
stagiaires, aux moeurs de Jaipur et à ce qui sied à une femme,
vestimentairement et moralement dans sa culture rajasthani. Dans sa
maison, chaque rideau, chaque coussin, chaque détail respirent le bon
goût, la simplicité et le raffinement. Les tentures imprimées au bloc se
soulèvent au gré du vent, dévoilant un intérieur feutré et féminin, et
Devena roucoule dans un froissement de tissu et tintement de bracelets.
Elle se meut avec souplesse mais dirige sa maison d'une main de fer,
interpelant employés et artisans avec autorité, telle une reine mère
dans sa cours, tout en dorlotant avec adoration son petit chien dissipé
qui laisse des traces partout sur son passage. Entre deux gloussements,
elle nous confie avec ravissement que le Pakistan a renvoyé le pilote
indien détenu sur son territoire, et que maintenant, "India will BOMB
it!!". Elle a l'air très excitée à cette idée, comme si elle elle
parlait d'une gourmandise dont elle allait enfin pouvoir se délecter.
Ses yeux brillent et son sourire espiègle sont d'une violence étrange
entre les fleurs de son châle et les pendants de ses oreilles.
Premier
jour, j'imprime au bloc! Tout est affaire de couleurs, il faut trouver
la bonne association, la combinaison savante qui donnera un résultat
harmonieux et agréable à l'oeil. Mon "maître" grince des dents au
moindre décalage, râle quand je me déconcentre et peste quand je ne fais
pas les choses dans le bon ordre, mais à part ça, il est très sympa! Et
surtout, il m'interdit formellement de dire d'une chose qu'elle est
"difficult", sans quoi, il refusera de m'enseigner quoi que ce soit!! Je
retiens bien la leçon, et j'espère m'en souvenir pour la suite des
évènements, quels qu'ils soient...
Puis
je passe à la broderie. Au début, les artisans tentent de m'apprendre à
manier le crochet, ce qui se révèle être un désastre! Je suis incapable
de faire ne serait-ce qu'un seul passage, d'ailleurs je ne sais même
pas quelle main utiliser, comme j'ai toujours du mal à savoir si c'est
la gauche ou la droite qui convient dans les nouveaux cas comme
celui-ci. En l'occurrence, aucune des deux ne m'est très utile, si bien
qu'à mon grand soulagement, ils décident qu'on reprendra plus tard et
qu'on va passer à l'aiguille. Là, je respire, ça, je connais un peu.
Mais pour autant, comprendre la bonne gestuelle et les nouveaux points
quand on me parle en Hindi, inverser le geste car on me montre en face
et de la main droite, ça n'est pas de tout repos, et je sens une
certaine impatience (voire du désespoir) dans les yeux de mon
interlocuteur. Mais bon an mal an, je me lance.
Les nouveaux points que je cherche à apprendre sont comme des mots inconnus que je balbutie, qui vont me permettre de m'exprimer créativement dans un langage riche et nouveau, qui fera le lien entre le dessin et le tissu.
Quand
une fleur tombe inopinément sur mon tissu, je la brode sur le support,
telle la sorcière Baba Yaga. Je m'amuse bien, mais ce n'est pas vraiment
du goût de mon maître, qui me gratifie d'un énergique "Nahi!", tandis
que ses apprentis me gratifient enfin d'un "bioutiful"!...
Dans
la création de broderies indiennes (du moins certaines), la
construction est intéressante. On ne part pas d'un contour qu'on va
ensuite "remplir" et par cela-même "définir" un motif fixe et pérenne,
mais d'un centre dont on va étendre la circonférence petit à petit,
étoffant de plus en plus les motifs de perles et de sequins ou de points
fantaisie. La composition va ainsi en s'étalant, dans un rayonnement
infini qui ne souffre d'aucun autre diamètre que la largeur du tissu.
Nous méditions sur cela avec Céline, une artiste présente là aussi, et
nous demandons si la conception du monde dans la culture indienne ne se
reflète pas dans cette petite fleur aux pétales prolifiques. Toujours
revenir au centre pour accéder à l'infini, créer un parfait alignement
entre les centres énergétiques du corps, une géométrie parfaite et un
équilibre dans la composition, afin de créer une harmonie propice à la
connection avec le divin. Revenir au centre de soi, c'est se relier à
son intériorité, faire éclater les frontières
corporelles et extérieures qui nous limitent par leur étroitesse et leur
finitude, abolir les limites du corps et le l'esprit, opérer une
symbiose entre l'univers et l'individu, qui de ce fait même s'efface
jusqu'à disparaître au profit du plus grand.
Le maître à l'oeuvre:
Sous
ses doigts naissent en un instant des feuillages, des fleurs, des
oiseaux, tout un univers végétal et animal plein de magie et de
noblesse. Il y a quelque chose de touchant à voir ce visage fermé et
grave produire tant de grâce et de futilité. On dirait un sorcier
austère qui, du bout de sa baguette, donne vie à une jungle palpitante.
Oeuvres des artistes Céline et Céline, mes "co-stagiaires".








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