mercredi 6 mars 2019

Jaipur Jaipur Jaipur, encore et toujours!!


Well, il a bien fallu bouger de Delhi à un moment ou à un autre, au risque de m'encroûter pour de bon...! Après 9 jours à glander à l'auberge, à prendre des cours de yoga dans un centre bobo et apprendre à connaître le personnel de l'hôtel, bières sur le toit avec Maddhu, Guddu, Prakash, Arushi et Ginoy, une ambiance majoritairement masculine, je prends un bus pour Jaipur (eh oui, à nouveau, mais c'est là que ça se passe), direction une résidence où je peux prendre des cours de block print et de broderie. 

J'arrive dans une ambiance tout à fait différente, chez la divine Devena, une femme très femme de la haute société de Jaipur, tout en saris magnifiques et bijoux travaillés, qui nous initie, moi et les autres stagiaires, aux moeurs de Jaipur et à ce qui sied à une femme, vestimentairement et moralement dans sa culture rajasthani. Dans sa maison, chaque rideau, chaque coussin, chaque détail respirent le bon goût, la simplicité et le raffinement. Les tentures imprimées au bloc se soulèvent au gré du vent, dévoilant un intérieur feutré et féminin, et Devena roucoule dans un froissement de tissu et tintement de bracelets. Elle se meut avec souplesse mais dirige sa maison d'une main de fer, interpelant employés et artisans avec autorité, telle une reine mère dans sa cours, tout en dorlotant avec adoration son petit chien dissipé qui laisse des traces partout sur son passage. Entre deux gloussements, elle nous confie avec ravissement que le Pakistan a renvoyé le pilote indien détenu sur son territoire, et que maintenant, "India will BOMB it!!". Elle a l'air très excitée à cette idée, comme si elle elle parlait d'une gourmandise dont elle allait enfin pouvoir se délecter. Ses yeux brillent et son sourire espiègle sont d'une violence étrange entre les fleurs de son châle et les pendants de ses oreilles.


Premier jour, j'imprime au bloc! Tout est affaire de couleurs, il faut trouver la bonne association, la combinaison savante qui donnera un résultat harmonieux et agréable à l'oeil. Mon "maître" grince des dents au moindre décalage, râle quand je me déconcentre et peste quand je ne fais pas les choses dans le bon ordre, mais à part ça, il est très sympa! Et surtout, il m'interdit formellement de dire d'une chose qu'elle est "difficult", sans quoi, il refusera de m'enseigner quoi que ce soit!! Je retiens bien la leçon, et j'espère m'en souvenir pour la suite des évènements, quels qu'ils soient...

 

Puis je passe à la broderie. Au début, les artisans tentent de m'apprendre à manier le crochet, ce qui se révèle être un désastre! Je suis incapable de faire ne serait-ce qu'un seul passage, d'ailleurs je ne sais même pas quelle main utiliser, comme j'ai toujours du mal à savoir si c'est la gauche ou la droite qui convient dans les nouveaux cas comme celui-ci. En l'occurrence, aucune des deux ne m'est très utile, si bien qu'à mon grand soulagement, ils décident qu'on reprendra plus tard et qu'on va passer à l'aiguille. Là, je respire, ça, je connais un peu. Mais pour autant, comprendre la bonne gestuelle et les nouveaux points quand on me parle en Hindi, inverser le geste car on me montre en face et de la main droite, ça n'est pas de tout repos, et je sens une certaine impatience (voire du désespoir) dans les yeux de mon interlocuteur. Mais bon an mal an, je me lance.




Les nouveaux points que je cherche à apprendre sont comme des mots inconnus que je balbutie, qui vont me permettre de m'exprimer créativement dans un langage riche et nouveau, qui fera le lien entre le dessin et le tissu.


Quand une fleur tombe inopinément sur mon tissu, je la brode sur le support, telle la sorcière Baba Yaga. Je m'amuse bien, mais ce n'est pas vraiment du goût de mon maître, qui me gratifie d'un énergique "Nahi!", tandis que ses apprentis me gratifient enfin d'un  "bioutiful"!...


  

Dans la création de broderies indiennes (du moins certaines), la construction est intéressante. On ne part pas d'un contour qu'on va ensuite "remplir" et par cela-même "définir" un motif fixe et pérenne, mais d'un centre dont on va étendre la circonférence petit à petit, étoffant de plus en plus les motifs de perles et de sequins ou de points fantaisie. La composition va ainsi en s'étalant, dans un rayonnement infini qui ne souffre d'aucun autre diamètre que la largeur du tissu. Nous méditions sur cela avec Céline, une artiste présente là aussi, et nous demandons si la conception du monde dans la culture indienne ne se reflète pas dans cette petite fleur aux pétales prolifiques. Toujours revenir au centre pour accéder à l'infini, créer un parfait alignement entre les centres énergétiques du corps, une géométrie parfaite et un équilibre dans la composition, afin de créer une harmonie propice à la connection avec le divin. Revenir au centre de soi, c'est se relier à son intériorité, faire éclater les frontières corporelles et extérieures qui nous limitent par leur étroitesse et leur finitude, abolir les limites du corps et le l'esprit, opérer une symbiose entre l'univers et l'individu, qui de ce fait même s'efface jusqu'à disparaître au profit du plus grand. 

Le maître à l'oeuvre:
Sous ses doigts naissent en un instant des feuillages, des fleurs, des oiseaux, tout un univers végétal et animal plein de magie et de noblesse. Il y a quelque chose de touchant à voir ce visage fermé et grave produire tant de grâce et de futilité. On dirait un sorcier austère qui, du bout de sa baguette, donne vie à une jungle palpitante.

 Oeuvres des artistes Céline et Céline, mes "co-stagiaires".




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