lundi 16 décembre 2019

Le lac Atitlan...


Levée de bon matin un jeudi, je veux dire bien sûr pas avant 9-10h, ce qui me fait bien évidemment manquer le bus direct vers San Pedro, je décide de poireauter tranquillement dans mon lit au lieu d'attendre au terminal de bus, pour le moins bruyant et saturé de vie en tous genres... Il faut dire que j'ai passé une soirée stressante, et je me sens complètement tendue. En effet, une secousse a ébranlé les murs sur les 22h30 (le lendemain, j'apprendrai que c'était le dégât collatéral d'un tremblement de terre de magnitude 6,5 sur l'échelle de Richter au fin fond du pacifique au large du Mexique brrrr), puis une seconde, à tel point que ma colloc et moi nous retrouvons dans la patio en pyjama, tremblant de tous nos membres... Finalement, pas très rassurée, je vais me recoucher, mais je tremble à l'idée d'une nouvelle secousse dans mon sommeil, et de ne pas me réveiller à temps (ce qui s'est ensuite vraiment produit avec une troisième secousse à 5h du matin et que je n'ai même pas remarquée)... Pour penser à autre chose, je décide de bouquiner le plus longtemps possible, mais je choisis un bouquin qui me stresse encore plus: Hunger Games, une saga atroce où des ados entre 12 et 18 ans sont censés s'entretuer jusqu'au dernier, et on ne vous épargne rien des détails horribles, on vous raconte même avec un plaisir morbide les actes tout sauf héroiques qui conduisent aux mort tout sauf grandioses des gamins... Une écriture sadique qui me tend encore plus, si c'était possible.

Après ce réveil douloureux donc, et ce petit sursis sous la couette, je me lance dans un long, très long périple. En effet, si cela est possible, je loupe le deuxième bus direct et, plutôt que d'attendre encore le suivant, je décide de prendre le trajet avec correspondance. Mauvaise idée, TRES mauvaise idée... Le bus prend la route, je dois changer au kilomètre 148 (allez savoir où c'est), puis prendre un microbus qui, je le croyais, devais m'emmener à destination, mais en fait il faut de là prendre un pick up. Comme le pick p ne part pas, je saute dans un tuk tuk qui m'emmène jusqu'au village en descendant les routes sinueuses en roue libre pendant 50min... après un malentendu avec le chauffeur, je me vois obligée de lui payer la course un prix exorbitant (bon, toutes proportions gardées, ça reste le Guatemala). J'appelle la brodeuse qui doit venir me faire le cours, mais comme sa tante est malade, elle ne peut pas se déplacer et si je veux faire le cours, il faut que je vienne, et le dernier bateau part dans 5 minutes... sachant que le port est encore à 10 min à pied. Après tout ce fichu chemin, je me dis que tant qu'à faire, autant aller jusqu'au bout et éviter de reporter au lendemain. Je saute donc dans un deuxième tuk tuk, et me rue sur la "lancha" (barque), qui s'apprête à partir. Le pilote en profite évidemment pour me faire payer le triple, que je réussis à descendre au double. Excédée, je pause le pied à terre à Santiago de Atitlan... Une montée jusqu'au centre ville, contourner le marché pour retrouver le pick up de mémoire, un chauffeur intrigué par cette étrangère qui grimpe nonchalamment dans le coffre avec les petites dames rachitiques en huipils brodées d'oiseaux et aux messieurs en chapeaux de cowboy et pantalons blancs courts traditionnels brodés d'oiseaux qui s'ébrouent silencieusement entre les rayures tissées du costume, qui me confirme qu'il va bien à "Chukmuk dos" (je cite de mémoire ce que j'ai retenu phonétiquement des indications d'Elizabeth, la brodeuse, au téléphone). C'est donc après un "colectivo" ( les bus de la ville de Xela) jusqu'au terminal de bus, une camioneta (le fameux Chicken bus), un microbus, deux tuk tuk, un bateau et un pick up, que j'arrive chez Elizabeth, à bout de souffle, au bout de ma vie (et de ma vessie car zéro pause pipi depuis le départ il y a plus de 6h).

Immédiatement, on me sert mon thé aux herbes (une infusion dédiée qu'on me prépare depuis mon épisode phtisique de la dernière fois (l'humidité me faisait terriblement tousser), et on se met au travail... Elizabeth, avec sa douceur et son efficacité habituelles, me guide et m'explique les points, les couleurs. Nous brodons côté à côte, dans le calme, non loin de la maman et du fils cadet, qui enfilent des perles silencieusement, formant de merveilleux oiseaux et animaux aux mille couleurs... Le fils aîné me salue d'un joyeux "Hola Gabi", tandis que son épouse berce son bébé qui a bien grandi depuis la dernière fois. La conversation s'arrête là, car Elizabeth est la seule qui parle Espagnol, mais un sentiment d'unité naît de notre travail. La maman vérifie régulièrement mes progrès avec bienveillance. Puis elle se lève pour préparer le repas, dans l'âtre qui chauffe doucement... Un sentiment d'apaisement qui me submerge et me relaxe. Travailler tous ensemble donne un sentiment d'harmonie, de paix... Je me couche dans ma chambre habituelle aux couvertures criardes et au toit en tôle.




Au matin, Elizabeth m'accompagne au marché, où je suis submergée d'émotion par toutes les petites mamitas et leurs délicieux huipils brodés d'oiseaux magiques qui semblent s'envoler, virevoltant entre les fruits et les légumes, dans des couleurs extraordinaires et des bruissements d'ailes imperceptibles... Je flash sur un tissu merveilleux tissé à la main, le support de futures broderies...



Rentrées à la maison, on reprend le cours, Elizabeth m'explique que broder, c'est comme peindre, et je comprends enfin d'où me vient ce goût de créer avec des fils et une aiguille. Les points sont comme de nouveaux outils de dessin qui me permettent d'emmener le trait plus loin, en lui donnant de la profondeur par la texture, le relief...
Une petite fille vient nous rend visite. Hyper intrépide et pleine d'idées et d'audace, elle commente avec  un naturel rafraîchissant tous nos faits et gestes, nous présente son chat, me demande la couleur de mes yeux, puis déclare qu'elle veut les mêmes et qu'on peut trouver des lentilles de ce style. Elle court dans tous les sens, hyper vivante et spontanée, dans une attitude délétère, loin des attitudes empruntées de petites filles qui deviennent trop vite des femmes. Sans manières et juste elle-même, avec ses fantaisies et avec ses galipettes, sa gaieté et son énergie, si parfaitement elle-même justement parce que sans conscience d'elle-même ou d'une féminité qu'elle aurait inventée ou dont elle aurait hérité, elle est une leçon vivante de tout ce qu'on peut entendre de stupide sur les différences supposées de caractère entre petits garçons et petites filles. La petite aventurière nous quitte bientôt car on l'appelle à la maison, tandis que nous allons dîner. La mère nous sert le repas, elle a un rire d'adolescente, et à côté, Elizabeth; avec son air réfléchi, traduit les fantaisies de sa maman. On dirait presque que les rôles sont inversés, entre cette maman jeune fille et cette jeune fille très femme. On dirait deux copines très différentes...





Le lendemain, je m'embarque pour une ambiance très différente. En effet, je rejoins les autres volontaires de Trama Textile à San Marcos, un village dont la jungle abrite des hippies aux longues barbes et aux oreilles percées de pics énormes, vêtements amples imprimés de dieux hindous, dread locks pendant dans le dos ou turbans hauts perchées sur des têtes cramoisies par le soleil...
Le soir dans l'auberge de jeunesse, nous avons droit à un set de musique trans par un dj à moitié gourou. Sur la piste de danse, les "guests" se déchaînent dans des mouvements mystiques et libérateurs... on se moque bien gentiment d'eux, avant de nous embarquer nous aussi dans une folle chorégraphie où nous nous métamorphosons en déesses des sables, filles du feu, sirènes langoureuses ou diablotins déchaînés, et nous comprenons enfin la magie de la coke, NAAAAAAAAAAAAAN je rigole haha, nous comprenons enfin la magie du laisser-allez et du lâcher prise, se ficher du ridicule et n'avoir rien en tête que s'amuser sans penser à ce dont on a l'air (c'est à dire à une bande de filles complètement excitées haha).






Les filles repartent un jour plus tard, mais je reste car j'ai envie de profiter un peu de ce beau lac seule pour dessiner et broder... Je me trouve un petit coin au bord de l'eau. Des femmes lavent le linge dans le lac pendant que les messieurs se reposent tranquillement à l'ombre des arbres, leurs chapeaux dessinant des ombres sur les rochers... Un jeune garçon d'environ 12 ans aide sa maman sans broncher, et de sa petite voix fluette attend les instructions avec gentillesse et ingénuité. Il me rappelle le petit garçon qui aide sa maman au ménage à Entremundos. Ces petits garçons qui ne sont pas encore des hommes, qui agissent avec la simplicité de l'enfance, hors de toute facétie adulte... Tout à coup, le grand-frère débarque en roulant des épaules pour transporter le lourd bac à linge. Ton péremptoire, position de mâle dominant face à sa mère, on voit que le rapport d'autorité s'est inversé avec le temps. C'est peut-être juste une question de personnalité, mais quand même, je me demande quand est-ce que ça se passe le "switch" de petit garçon à grand méchant loup. 







Bref, sur ces considérations, je repars avec un jour de retard (après avoir presqu'à dessein loupé le bus du jour précédent), le coeur empli des douces amabilités de la famille d'artisans, et avec dans mon carnet des dessins de petites dames au marché dans des tenues magnifiques, des paysannes coiffées comme des princesses... Dans le bus, une dame me voit broder, on discute et je lui dis que j'espère que ça va être joli, et là, me regardant droit dans les yeux, elle dit cette phrase qui résonne étrangement en moi: "La duda no ayuda para nada", le doute n'aide en rien...





Bon, ça c'est la version "happy end"...





La vérité, c'est qu'on m'annonce un "bloqueo" qui, comme son nom l'indique, bloque la route. Comme le bus passe quand même, je saute dedans. Mais de fait, après 2 heures de route, on est bel et bien bloqué par une grève. Des milliers de voitures sont alignées sur des centaines de km de route qu'on voit s'enrouler autour des volcans... Le bus refuse d'aller plus loin et repart dans le sens inverse, me laissant sur la route avec mon petit sac-à-dos rouge, et heureusement avec un autre type qui va aussi à Xela. Finalement dans la file des voitures, camions et bus, le dit type reconnait un ami chauffeur qui conduit un bus jusqu'à Xela. On saute dedans gratis, et 3 heures plus tard, je vous épargne les péripéties et les bruits qui courent style "la grève va probablement se poursuivre toute la nuit et demain aussi, il va falloir dormir ici" (je me vois déjà louper mon bus du jour suivant pour le Mexique et expliquer à la frontière pourquoi mon séjour dépasse lamentablement les 90 jours autorisés par le visa), on arrive enfin!!

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