vendredi 26 juillet 2019

Brocéliande, ou la forêt magique


Plume trouvée dans la forêt magique...


Ce we, je suis invitée avec une copine dans la Forêt de Brocéliande, où une amie partage depuis peu la cabane d’un « Chaman » de métier, au cœur des bois. L’arrivée se déroule dans des accès chaleureux d’amitié et de découverte. On prend très vite le chemin de la forêt car notre ami chaman veut nous faire expérimenter le pouvoir des énergies de la forêt. On s’installe près d’un lac pour entamer une méditation en hommage à Gaya, notre mère la Terre, au son du tambour en peau de bison et des incantations en langue inconnue qui lui sortent de la bouche, « sans qu’il sache vraiment d’où ça lui vient". J’essaie de faire un peu abstraction car, somme toute, je trouve appréciable de méditer ensemble au bord de l’eau. En revanche, l’énorme berger allemand qui nous accompagne gémit et s’aplatit de frayeur comme s’il sentait quelque chose de menaçant dans le lac, il est comme un fou, bondissant en arrière dans des glapissements pathétiques, nous bousculant au passage, terrassé par la peur. Son maître nous dit qu’il a senti une « vouivre », un esprit de l'eau... J’avoue que je commence à être vivement impressionnée. Après la méditation, il veut savoir comment on se sent, il me demande si je n’ai pas mal à l’estomac, "qui est l’endroit des peurs", et quand il le dit je sens tout à coup comme une petite crampe (je me garde bien de lui faire remarquer qu'une dalle gargantuestque met mon ventre au supplice depuis un moment). Je dois de toutes façons admettre que le son du tambour et ses vibrations laissent une sensation physique notable (peut-être comme après une soirée entière passée près de la sono?), qui, additionnée à l’attitude du chien, génèrent une légère inquiétude, du moins un trouble certain. Et je peux mettre, par facilité peut-être?, mon emportement nocturne (voir plus loin) sur le compte de ces étrangetés, qui ménagèrent sans doute (de même qu'un pourcentage non négligeable d'alcool dans le sang, soyons honnêtes), un terrain meuble et déstabilisant propice à l’effondrement.

Le soir, autour d’une bonne planche de fromages (pour mon plus grand bonheur, écoresponsable et chaman ne veut pas dire végan :p !), on commence à parler féminisme, et là, on arrive très rapidement à la question de l’allaitement (allez savoir pourquoi). Notre chaman argue que le bien-être de l’enfant étant en jeu, c’est une décision qui lui appartiendrait également en tant que père. La fameuse injonction à l’allaitement… Déjà un peu échauffée par le débat (et quelques verres de pinard), je lui demande abruptement s'il est contre l’avortement du coup, le « bien-être du fœtus, voire de l’ovule fécondé » passant dans cette logique avant la liberté de la femme à disposer de son corps. Bref, je ne sais pas si vous avez déjà vu l’expression d’un bouledogue qui voit un lapin grignoter des carottes dans le potager de ses maîtres en toute quiétude, si ce n’est pas le cas, imaginez-le, ajoutez-lui une bonne dose d’amphétamines, et vous aurez une idée de la tête que j’ai faite à ce moment-là : rictus mauvais, yeux injectés de sang, babines retroussées et même, si je ne m’abuse, la salive qui mousse dangereusement. Maiiis vous connaissez mon incroyable maîtrise de moi-même (LOL), alors je prends une grande inspiration pour lui expliquer calmement que de mon point de vue, toute femme est adulte et responsable, et qu’en conséquence les décisions qui concernent directement son corps lui appartiennent, et que, quelles que soient ses raisons, on doit les respecter, qu’il y en a marre d’infantiliser les femmes en se mêlant de leurs décisions, c’est de l’interventionnisme et pas autre chose, et marre de toujours trouver des raisons , ou plutôt des prétextes pour entraver leur liberté, car franchement c’est de ça qu’il s’agit au fond, des fois qu’elles prennent un peu trop la confiance, bordel , faudrait surtout pas qu’elles nous échappent complètement, déjà elles ont le droit de vote alors de quoi elles se plaignent les bougresses. Bon… ça, c’était la version officielle (hum hum… même la version officielle sent le roussi, damned !).

La vérité, c'est que, loin d’adopter le calme froid et sceptique de mes maîtres à penser (genre, l'agent 007 ou James Stewart dans les films d'Alfred Hitchcock, qui ont toujours des super répliques et dégomment leurs adversaires dans un cynisme savoureux et une retenue exquise), j’ai bondi comme un chien enragé, sabordant mes meilleurs arguments à coup de "nan mais on n'est pas des vaches à lait!!" ou encore des "marre de torcher les mioches!" rageurs qui choquent profondément mes adversaires (et moi-même d'ailleurs) et ont raison de leurs dernières velléités. Adversaires qui ne se gardent guère de me faire remarquer que ma « colère » est sans doute due à une « blessure », estimant qu’eux-mêmes ne s’expriment qu’avec « passion ». « La colère est la passion des autres », dis-je (rétroactivement biensûr, tu sais le genre de réplique cinglante qui vient toujours à point nommé, c’est-à-dire… après-coup:/).
Note pour le lecteur : Pour votre culture g, la structure de cette phrase me vient de mon prof de Littérature qui nous avait partagé en Seconde « La pornographie, c’est l’érotisme des autres » #prof légèrement porté sur la chose.
 
Breef, conclusion, dans la mêlée générale, qui s’échauffe de plus en plus, au rythme de petits verres de rhum savamment resservis, des voix s’élèvent, des « ombres », comme nous dit le chaman, ressortent. On se rend compte qu’on n’est peut-être pas la seule en colère, que ces "problèmes" touchent les gens plus profondément qu’ils ne veulent bien l’admettre, qu’on les contourne souvent comme dans une corrida un taureau dangereux, car ça nous connecte d'un coup, peut-être trop brusquement, à des questions très personnelles et sensibles, sur notre liberté, notre pouvoir et notre étendue d’actions, nos limites mentales, psychologiques et réelles. Ca ne laisse, en tous cas, personne indifférent.

Le lendemain, un ami du groupe nous emmène au tombeau de Merlin l’Enchanteur. Autour du picnic, il nous abreuve, que dis-je, nous assomme (à ce stade, je commence vraiment à saturer) d’informations sur les druides et les fées, les « gardiens », à qui ils faut demander la permission pour « entrer », les « clefs », qu’il faut trouver pour pénétrer dans des lieux magiques et énergétiques, et là je sens que ce n’est plus en bouledogue que je vais bientôt me réincarner, mais en monstre sanguinaire en plein burn out. Je me concentre sur le dal de lentilles, au passage excellent, pour échapper aux infinies diatribes sur les chemins spirituels à emprunter pour la libération ultime, et j’ai un sentiment ambivalent à l’égard de ce drôle, un mélange de peur et de gêne, je ne sais pas si ce type est franchement fou ou juste désespéré et pathétique. Dans les deux cas, je n'ai qu'une envie: fuir; ce qui ne tarde pas à se produire, quand mon amie et moi prenons la poudre d’escampette, après une énième invitation à aller visiter une fontaine magique.

Je repars un peu secouée, avec un léger nœud à l’estomac. Trop d’inconnu et d’invraisemblance, qui appuient malgré moi sur des points sensibles, notamment un certain patrimoine superstitieux jusque là insoupçonné, que réveillent ces émanations et divagations magiques. Fées, trolls, druides et esprits remuent peut-être en effet des énergies enfouies au plus profond des êtres, et soulèvent des questionnements auxquels ils aimeraient toujours se soustraire, et je me dis que c’est peut-être ça le pouvoir de la forêt… 

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