samedi 5 octobre 2019

Le jour et la nuit

Le jour et la nuit. Mes journées sont peuplées de filles et de tissus, de couleurs et d'artisanat, de matrones et de broderies. Mes soirées au contraire, principalement de "chicos", (garçons), qui, à la salsa, se démènent sur la piste. 

Le cours de salsa est un phénomène hautement intéressant qui mérite toute notre attention. Ici, garçons et messieurs évoluent chacun à leur manière, et révèlent des facettes plutôt inattendues qui ont l'air de les surprendre eux-mêmes... Commençons par Carlos, un Guatémaltèque d'une bonne quarantaine d'années, sosie de Silvester Stalone (la carrure en moins :p), dents hypra blanches, cheveux hypra noirs, peau homogènement hypra bronzée, look hypra soigné, Monsieur doit passer un temps fou dans sa salle de bain et de bronzage. Malgré ce physique de tombeur latino sur le retour, Carlos est surtout un type hyper galant et bien comme il faut, avocat notaire de profession, que je surprends un peu timide quand il me tend sa carte d'un air tendu (on voit qu'il fait de son mieux pour paraître à l'aise). Pas prétentieux pour un sou, il danse parfaitement, vous guide avec simplicité et un grand respect, essaie vraiment de progresser, avec une grâce assez juvénile. On dirait qu'il a été ballerine, il a une façon tout sauf macho de danser.

Tristan, un petit Allemand chauve à la barbe pointue, lunettes rectangulaires dans un visage rondouillet, s'efforce avec application d'exercer ses dernières connaissances, quitte à complètement oublier la musique, un peu stressé et ne s'excusant même plus de son niveau débutant dont on devine qu'il a du mal à s'affranchir...

Caro, un immeeeense Hollandais (seuls les Hollandais font cette taille, vous avez déjà vu des gens aussi grands?!) d'une vingtaine d'années, très gentil, a le sens du rythme mais on voit qu'il n'est pas encore tout à fait à l'aise dans son grand corps gauche. Complètement arc-bouté ou plié en deux, il vous balance d'une extrémité à l'autre de la salle, par ailleurs toujours dans le souci de ne pas vous malmener, craignant à tout moment d'être indélicat, dans une attitude de correction exemplaire, non exempte de sympathie. Un peu gêné pour nous lorsque s'exprime, à travers des figures légèrement ambigues, une masculinité un peu dominante, il a l'air aussi mal-à-l'aise que nous, si bien qu'on se prête à ce jeu un peu ridicule avec plus de bonhomie qu'on y était disposée au début.

Carlos (oui un autre, on en rencontre pas mal :p!), un médecin très sûr de lui, vous guide avec autorité et douceur, il a le rythme dans la peau, et en cas de bourde, il vous rassure, c'est entièrement de sa faute, c'est "al hombre" (à l'homme), comme ils aiment à le répéter, de guider.

Lorsqu'on me demande, le temps d'une figure, de danser avec le vieil Américain qui a l'air d'à peine y voir et qui danse toujours avec la prof (en général c'est les plus débutants) -prof, au passage, une femme magnifique d'une cinquantaine d'années, booombe d'une sensualité juste hallucinante- , celui qui vit ici depuis 20 ans sans connaître un mot d'Espagnol, baragouinant dans un Anglais à peine audible, qui peine à se mouvoir et semble toujours au bord de la suffocation, je n'ai pas l'air enchanté et m'attends à danser avec un pantonime aux gonds mal huilés. ERREUUUUR!! Mike (on va dire qu'il s'appelle comme ça), exécute remarquablement ce tour de passe passe pas évident, le tout avec une impulsion et une maîtrise impressionnantes de naturel, dans une attitude délétère et sympathique dont le flegme n'a rien à envier à ses compatriotes.

Puis, Javier, un petit bonhomme modeste qui danse incroyablement bien sans jamais rien dire...

Kevin, un Asiatique de San Francisco qui vous lance en riant, sur les morceaux les plus "sensuals", que c'est là où "we're supposed to be sexy", et le moment devient alors une partie de rigolade où chacun essaie d'en faire trop en jouant la carte de l'outrance, ce qui désacralise ces moments parfois too much pour nos esprits un peu étroits d'occidentaux coincés.

Tous autant qu'ils sont essaient de faire de leur mieux, avec leur faiblesses et leurs manquements, avec la gêne et la peur de la contre performance, essayant d'établir, dans leur rapport à l'autre, un équilibre tangible entre proximité et décence, créant un nouveau langage d'approche et de correction, où timidité, maladresse, égo, difficultés, se rencontrent. Une démarche emplie d'un certain courage, voire d'une certaine hardiesse pour certains! Ces cours en tous cas, en disent aussi long sur eux que sur nous (ce que nous nous garderons bien de partager, ceci étant le privilège de l'auteur :p)!

2 commentaires:

  1. J'adore. On s'y croit, j'ai l'impression de voir ces hommes là, devant moi, esquisser quelques pas de danse.

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  2. :))! les pauvres, ils se donnent vraiment du mal et voilà tout ce que je trouve à dire!!

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