Mari...
Lundi soir, je reçois un message de Mari, créatrice de tissages. Elle m'invite à l'accompagner le lendemain à son village, où elle doit récupérer des modèles qu'elle a fait réaliser là-bas. Le mardi aux aurores, je la rejoins donc devant l'Eglise du Cerillo, et avec sa fille Claudia, nous embarquons toutes les trois dans un taxi qui nous conduit à 1h30 de San Cristobal, sur des routes chaotiques dont certaines portions récemment bétonnées nous donnent quelque trêve, entre deux soubresauts qui arrachent à la voiture des gémissements métalliques.
Enfin on arrive à la maison familiale. La maman de Mari, d'une prestance incroyable, nous accueille dans la simplicité de sa cuisine, où du café cueilli, grillé et moulu au village bout sur un feu dont la fumée me chatouille les yeux de son souffle chaud et piquant. Quelques tortillas aux herbes amères et au fromage complètent ce déjeuner frugal. Ici la vie est dure et on doit souvent se contenter d'un repas à base de mais, de café et de haricots, les seules choses qu'on trouve en hiver. Une ribambelle de très jeunes enfants nous entoure dans des gazouillements ravis ou des pleurs qui émouvraient les plus endurcis. Je demande à dessiner Madame la douairière, Albina de son nom, et, aussitôt traduite dans la langue Oxchuc, je me vois répondre qu'elle doit avant tout changer de huipil, car celui qu'elle porte n'est pas fait pour être dessiné, elle en a en effet de bien plus beaux. Elle revient peu après parée d'un extraordinaire huipil, et elle s'assoit avec emphase sur une petite chaise en bois dont elle fait un trône, très vite rejointe par une de ses petites filles, en habit traditionnel elle aussi. Le frère aîné de la petite vient lisser sa blouse et arranger sa mise pendant que je leur tire le portrait, avec un sérieux qui me fait sourire.
Peu après nous rendons visite à la tisseuse, une jeune maman qui déroule les créations réalisées d'après les indications de Mari. Les couleurs, un camaieu subtil de verts forêt, ont été inspirées à cette dernière par la teinte des arbres de la montagne en hiver, qui passent du foncé au clair, avec la sécheresse, et donne aux feuillages des tonalités riches et infinies. Mari s'inspire principalement de la nature. Comme elle me l'explique, dans le temps les femmes n'avaient que les fleurs pour composer les harmonies de leurs tissages. Elles allaient donc au champ en cueillir quelques poignées afin de créer leurs compositions colorées. Après, il n'y a plus qu'à acheter les fils...
Mari est partie du village à son mariage car ici les filles n'héritent de rien, donc on va vivre dans la famille de son mari, où on devient la servante de la belle-famille, rôle particulièrement éprouvant dans son cas car à cela s'ajoutait l'extrème dureté de son beau-père. Pour cette raison, elle a quitté le village avec son mari et ses deux enfants. Elle rêvait aussi d'une meilleure vie pour eux car, comme elle me le raconte, elle n'a pas eu d'adolescence à proprement parler. En effet, de son temps, il n'y avait aucune route au village et pas d'eau, elle devait aller en chercher à 3 heures de marche, et revenir en portant une énorme charge... Elle qui ne savait ni lire ni écrire, ni parler Espagnol, souhaite que ses enfants étudient. Résultat, ils parlent Espagnol mais pas la langue Oxcuc, dit-elle en riant! Elle travaille à présent à mi-temps comme aide ménage dans une auberge, et l'après-midi, elle crée... chose que son désormais ex-mari n'a jamais pu comprendre, car ça rapporte bien peu... mais c'est ce qui l'anime et la rend vivante, alors sans ça gagner plus d'argent n'aurait plus aucun sens...
De visite dans son "atelier", une petite table dédiée à son activité de créatrice dans un coin de la pièce où elle vit avec sa fille, Mari me montre comment elle travaille. Elle sélectionne ses fils de couleurs qu'elle brode ensuite en un échantillon qui lui permet de visualiser son travail en taille réelle, puis de le communiquer aux tisseuses, auxquelles elle envoie les échantillons par taxi, afin que celles-ci puissent réaliser précisément la demande. Elle aurait voulu faire des études pour être créatrice, mais sa mère lui a dit que pour créer, il faut juste de l'intelligence... Son petit atelier est un coin de poésie où, loin du monde, Mari imagine, crée, joue, exprime ses émotions à travers les couleurs et les rythmiques des rayures, comme une douce musique dont elle orchestre les notes bleues, jaunes et rouge, avec patience, douceur et passion... Et n'est-ce pas cela après tout, être une artiste, réussir à raconter les histoires qui nous habitent?
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