Partie 1/ El Encuentro de Mujeres Zapatistas, ou comment elle finit enrolée dans un camp Zapatiste:
Le 26 décembre, je ne sais toujours pas quoi faire. Mon amie Hannah est à Mazunte sur la côte pacifique et me fait de grands signes pour que je vienne la rejoindre, mais moi la plage et la chaleur, je m'ennuie vite et ça peut entraîner des idées noires... C'est le matin et je vois toutes les filles de mon auberge partir une tente sous le bras pour le fameux évènement féministe dont tout le monde me parle depuis que je suis arrivée, et auquel TOUTES les filles que j'ai rencontrées vont, il s'agit de l'Encuentro de Mujeres Zapatistas, ce regroupement de femmes Zapatistes, mouvement indigène et paysan anti-capitaliste. On m'a bien proposé plusieurs fois d'y aller, mais j'ai fait la fine bouche car dormir dans une tente pendant 3 jours, merci mais très peu pour moi #bourge. Mais tout d'un coup, je me dis que je suis certainement en train de passer à côté de quelque chose d'important, genre, un regroupement de femmes autour du féminisme, pour une société alternative et la préservation de la Terre? Nan mais qu'est-ce que j'attends??
Aussitôt, et dans un état de panique totale (on ne se refait pas) je prends ma décision (en fait je saisis plutôt enfin l'énorme perche tendue pour enfin décoller). On me dit qu'il faut juste se rendre à la station de bus et que de là partent des navettes, que des centaines d'autres femmes seront là aussi et qu'il n'y a qu'à suivre, il faut juste absolument un sac de couchage car il va faire froid la nuit, c'est dans la montagne, et que niveau tente, je trouverai toujours une place quelque part. Je n'ai plus un vêtement de propre car je pensais aller à la laverie aujourd'hui, alors je lave deux culottes et deux paires de chaussettes à la va vite dans le lavabo, misant tout sur le soleil de midi. Je cours acheter un sac de couchage au supermarché, je recharge mon téléphone en crédit, j'achète un truc à grignoter, je négocie de reporter ma résa du jour à l'auberge à mon retour, je fais mon sac rapidos, enferme le reste de mes affaires dans un casier de l'auberge, et me rue à la station, car j'appréhende que les derniers bus partent sans moi.
Arrivée là, je trouve vite un groupe de nanas avec qui attendre, l'une d'elle a une tente et peut m'héberger. J'apprends qu'il n'y aura peut-être pas d'eau, et en tous cas pas de papier toilette, je cours acheter un rouleau, 3 bouteilles d'eau et des lingettes pour bébé pour la toilette. Finalement, à force d'attendre une amie d'une des filles, il est presque 18h et il n'y a plus de camionnettes!! Les filles sont prêtes à monter dans un taxi douteux, la voiture est à faire peur et ça a l'air plus que "non officiel", mon coeur ne fait qu'un bond, il est hors de question que j'embarque dans cette carcasse sur une route de montagne, de nuit. On finit par trouver un taxi officiel en bon état, et on embarque enfin, entassées à 4 à l'arrière. Après deux heures de route, le chauffeur soupire de soulagement "ouf, on a passé la partie dangereuse", la partie QUOAAA?? Eh oui, on est au Chiapas, et j'apprends qu'il n'est pas rare que des voitures embusquées arrêtent les véhicules pour les dévaliser à main armée, surtout de nuit hummmmmmm...
Enfin on arrive au campement, drôle d'impression avec tous ces partisans engagoulés, de nuit, armés de bâtons et d'arcs immenses... Des sentinelles gardent le campement comme de fières amazones. On devine sous les cagoules de longues tresses noires et parfois un chouchou rose qui vous va droit au coeur.
Les dessous du mouvement Zapatiste (brillant Gab, bravo pour cette blague à moitié machiste, très appropriée en la circonstance!). |
Côté visiteuses, c'est un véritable défilé de femmes de tous genres, je n'ai jamais vu une telle diversité, d'âge, de morphologie, de types et de styles. Cheveux longs, rasés sur les côtés, dreadlocks, tenues féminines ou garçonnes, des styles pas possibles inventifs ou plus conformes. Un rendez-vous d'une diversité incroyable qui redéfinit l'expression de la féminité, en s'abstenant de toute détermination figée justement. J'ai l'impression de rencontrer en chacune les héroines de mon enfance. Des Calamity Jane qui n'ont pas froid aux yeux, des Scarlett O'Hara effrontées, des Dorothy ingénues, des Jane Eyre déterminées, des Fifi frondeuses, des Fantômettes espiègles, des Alice un peu allumées. On est toutes là pour une raison, car on est des "Mujeres que LUUUUCHAAAAAN", des femmes qui combattent, comme on le scande à plein poumons à chaque discours, dans un enthousiasme fou qui vous grise.
Sensation étrange au milieu de cette foule, aucune tension en moi! Je me rends compte qu'en temps normal, tel un radar, j'analyse inconsciemment en permanence mon environnement pour évaluer "le terrain", repérer d'éventuels lourdauds, ou "prédateurs", que je réfléchis sans cesse à ce que je renvoie avec mes vêtements. Ici rien de tout cela n'existe plus, je baisse complètement la garde, on est entre femmes et je me sens super détendue.
Vivre sans peur... |
Pareil dans les danses, pas de peur d'être écrasée ou bousculée, tout se passe naturellement et de manière hyper respectueuse, c'est peut-être juste une bonne vibe mais on dirait quand même qu'en tant que femme, comme tu connais et appréhendes cette agressivité permanente du mâle alpha dans ton quotidien (qui n'est pas une majorité, mais qui écrase tellement les autres qu'on ne voit que lui), tu fais du coup toi-même plus attention, ce qui donne une ambiance bien plus agréable (bon il y a aussi des femmes qui sont de grosses brutes, mais en tous cas, aucune en vue ici).
C'est mon premier rassemblement et c'est pas de la rigolade, le thème de cette année étant "les violences contre les femmes", mais c'est aussi très artistique, des tas de filles sortent leurs instruments et on chante et danse follement.
Premier jour: Las denuncias... hummmmfff, intense, les femmes qui le souhaitent peuvent prendre la parole pour partager leur vécu, des mamans éplorées racontent les "suicides" déguisés de leurs filles, car la police ici n'en a juste rien à cirer des féminicides, alors autant boucler l'affaire au plus vite, des femmes de tous âges qui racontent des trucs vraiment durs d'abus sexuels en tous genres... Jour 2: "Propuestas", propositions pour que ça change, initiatives personnelles et collectives, une femme propose un orgasme collectif à 23h, ça fait du bien un peu d'humour... Jour 3: "Arte", on dirait que je suis tombée au bon endroit... Une danse collective pour exorciser et passer à autre chose, dépasser les drames et montrer qu'on est les plus fortes...
La rencontre, manquant carrément de structure, est néanmoins une véritable déclaration de guerre au système patriarcal. C'est une formidable union qui matérialise visuellement ce que je ressens depuis un moment: que le monde bouge et que c'est au pas des femmes qu'il faudra désormais marcher (voire courir).
Je me souviens d'un ancien ami qui me disait en grinçant des dents qu'à force de revendications, les femmes allaient faire fuir les hommes (en effet, on observe une certaine "fuite de capitaux" vers les pays d'Asie, où les femmes demandent juste qu'on leur tape pas trop dessus et biensûr qu'on ait un petit pactole à partager, ce que certains hommes, naïfs ou aveugles, prennent pour le coup de foudre dans le meilleur des cas, pour un échange de bons procédés dans le pire). A l'époque, je pressentais bien qu'il avait tort, qu'en fait la prise de position pourrait bien être tellement ferme que c'est juste que les hommes qui ne voudront pas de ce changement n'auront, en effet, plus qu'à faire leurs valises. Car la société avancera avec, ou sans eux.
Je participe également, invitée par une fille qui ne jure que par ça, à zoom autour d'un "Mandala", une organisation solidaire qui appuie le développement personnel et économique des femmes qui souscrivent. L'organisation est constituée comme un mandala, une construction circulaire. Si on veut s'inscrire, il faut effectuer une donation de 2000 euros. Chaque femme qui cotise est à l'extérieur du cercle, et les autres, plus anciennes, organisées en cercles de plus en plus petits à l'intérieur. Chaque cercle évolue avec le temps, de sorte que les femmes à l'extérieur migrent vers l'intérieur jusqu'à ce que, par période d'ancienneté, chacune arrive finalement au centre, où elle récolte les donations des nouvelles arrivantes, tandis que les anciennes migrent pour constituer de nouveaux cercles. Au bout d'un an en gros, tu récoltes jusqu'à 30 000 euros pour investir dans ton projet, le tout ponctué de réunions d'inter-coaching hebdomadaires. Sans aller jusqu'à m'inscrire, je trouve le système fascinant. En effet, au-delà de l'entraide et de l'écoute que se prodiguent les participantes, et donc le soutien psychologique et solidaire, c'est un véritable outil d' "empowerment" économique, car pour tout projet il faut évidemment investir, chose dont beaucoup de femmes, parfois fragilisées par des situations familiales (une des participante est une jeune maman solo de deux enfants qui a dû faire face à des crédits ect), ont besoin. Altaya m'explique qu'il s'agit d'une entraide complète, qui allie solidarité émotionnelle (reconnaissance et partage des émotions) et économique. Un dialogue entre émotions, fragilités, doutes, et force, prise de parole, affirmation de soi. Je trouve intéressante cette prise en compte globale de l'individu, dans sa force comme dans sa fragilité, dans un monde qui nous demande de sourire à toute épreuve et de ne surtout emmerder personne avec nos émotions, à cacher nos fragilités et nos moments de faiblesse, quand ceux-là mêmes, par un effet de dualité propre à la complexité de l'âme humaine, constituent le pendant essentiel de la force.
Comme entendu et réentendu dans l'Encuentro de Mujeres, il faut arrêter de demander la permission, il faut s'affirmer en tant qu'individu, proposer et prendre sa place, car personne ne nous la donnera. Une des participantes m'explique que ce système de coaching entre femmes qui veulent avancer lui permet de "Stop dreaming my life and start living my dream!", "Cesser de rêver sa vie, et commencer à vivre son rêve", waaoooo, j'avoue que je trouve ça génial :)!! J'aime cette vibration, on est dans le concret, dans l'action, sans pour autant renier son intériorité ni sa personnalité. On est dans un coaching inclusif et nuancé qui prend en compte toutes les facettes de l'individu, sa personnalité, ses rêves, sa vie, dans leur réalité comme dans leur projection.
Bref, avec toutes ces expériences de solidarité féminine, je comprends qu'on est en enfin train de vivre une époque unique, une époque où, suivie de la prise de parole des femmes dans toutes les sociétés pour s'exprimer sur les violences, les discriminations ect, on entre dans l'ère du concret, de la création, une ère de regroupement féminin puissant pour faire valoir ses droits, légitimer ses aspirations et recréer un monde inclusif, où, j'aime à le penser, chacun aura sa place, qu'on soit homme, femme, ou entre les deux, qu'on soit un animal, une plante, qu'on soit le vent, la mer, ou même rien du tout...
Broderie pour les revendications: les femmes utilisent leur moyen le plus accessible pour s'exprimer, ça rejoint mon futur projet de broderie. |
Faire sa lessive avec les Zapatistes.
Partie 2/ La plage...
Partie 3 (ouf, elles sont de plus en plus petites)/ Oaxaca:
Puis je rejoins ma coloc Allemande à Oaxaca. Comme je n'anticipe plus rien, je me vois obligée d'emprunter un van horrible qui me laisse complètement épuisée et morte d'épuisement quand j'arrive enfin à Oaxaca, une ville où je ne souhaitais pas retourner car "à quoi bon?" (j'y avais été il y a 9 ans après mon année à San Francisco). En fait cette ville est géniale, il y fait super bon, et je préfère mille fois que San Cris que je trouve trop touristique et un peu surfaite. Je décide d'y rester un peu...
Je reste un jour de plus que
prévu et je repars pour "San Cris' ", comme je l'appelle désormais,
d'où j'embarque en bus de nuit pour Mazunte. Arrivée là-bas, contre
toute attente je me détends enfin, la plage, les restau et la chaleur,
entourée de 3 filles un peu comme moi qui voyagent ou bossent dans des
ONG, je me sens enfin entourée de personnes qui me ressemblent, un
mélange de soif d'ailleurs et de rationnalité, questionner la société
sans la rejeter complètement. Après les hippies fauchés, les roots je
m'en foutiste, les artistes illuminés, les chamans, les énergéticiens et
les électrons libres rencontrés ici et là, j'ai enfin l'impression
d'être à la maison.
Un lendemain de réveillon un peu endormi après une fête toute la nuit sur la plage... |
Puis je rejoins ma coloc Allemande à Oaxaca. Comme je n'anticipe plus rien, je me vois obligée d'emprunter un van horrible qui me laisse complètement épuisée et morte d'épuisement quand j'arrive enfin à Oaxaca, une ville où je ne souhaitais pas retourner car "à quoi bon?" (j'y avais été il y a 9 ans après mon année à San Francisco). En fait cette ville est géniale, il y fait super bon, et je préfère mille fois que San Cris que je trouve trop touristique et un peu surfaite. Je décide d'y rester un peu...
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