mercredi 12 août 2020

La vie de bonhomme, le vie de sauvageonne.

La vie de sauvageonne.

J'aime me lever le matin et juste enfiler un short, mes tongs, un débardeur, me passer le visage à l'eau fraîche, et je suis prête. Un bon petit déjeuner, assez riche pour me durer jusqu'à assez tard, comme ça on n'est pas pressé de cuisiner pour le midi, passer la journée à huiler le bois avec l'application d'un enfant de 5 ans qui veut faire plaisir à sa maîtresse ( je précise que mon boss est un grand maniaque, mais il m'a donné le goût du travail bien fait, et c'est très satisfaisant). Et puis une bonne douche, et dodo.


Alors oui je vis avec un grincheux maniaque qui me manifeste un intérêt comparable à celui qu'éprouve le poulpe pour un bout de verre poli, et non je ne suis pas tombée sur la coloc idéale de jeunes trentenaires bobo en reconversion qui veulent refaire le monde en cultivant des légumes bio après des années de management dans une start-up innovante et une école de commerce bien côtée. Pas de conversation intéressante à imaginer une société nouvelle, pas de joyeux travail en équipe, je bêche toute seule dans mon coin toute la journée pendant que monsieur fume bédo sur bédo sur son canapé quand il n'est pas en train d'en rouler, pour venir chipoter en fin de journée sur les quelques tâches de peinture qui ont échappé à ma vigilance (je précise qu'on compte la circonférence des dites tâches en millimètres), et si c'est un bon jour j'aurai sûrement droit à un vague hochement de tête que j'imaginerai approbateur, et le soir au souper si j'ai droit à un mot ou deux je pourrai m'estimer heureuse.

Alors oui je n'ai pas fait les rencontres "idéales", d'autres volontaires type baba-cool sympathiques et souriants avec qui on aurait eu des conversations enflammées et qui auraient été mes meilleurs amis jusqu'à la fin de ma vie, non, je suis tombée sur des volontaires arrogants à la limite du désagréable qui n'ont jamais cherché à comprendre qui j'étais... Peut-être qu'à force d'être super solo tout le temps, je ne sais plus trop me connecter à qui que ce soit,  à part  à moi-même haha, quand j'ai la chance que ça m'arrive. Alors même si je suis déprimée un jour sur deux parce que j'en peux pluuuuuuuuuuuus de parler à personne et d'être confinée depuis quaaaaaaaaaaaatre mois, dont plus de deux sur un terrain d'à peine mille trois cents m2 (ce qui paraît beaucoup écrit comme ça mais c'est petit en fait), eh bien cette vie vraiment bizarre et étrange m'a tant appris! Dans sa petitesse, dans son étroitesse, dans son exiguïté, dans son intimité sociale, j'ai fait mon nid, j'ai trouvé une position confortable pour dormir et pour vivre, comme si dans le petit l'être se déployait à sa vraie mesure, comme si entre les arbres étouffants, il retrouvait enfin son souffle.

 Le soir, quand mes deux acolytes brésiliens conversent entre eux et que je ne comprends rien (mon niveau de Portugais est toujours aussi lamentable, bon en plus je les soupçonne de ne pas parler de manière très littéraire), je me sens comme une sorte d'animal de compagnie, un gros chat qui reste bien au chaud sur un coin de canapé à vaquer à ses occupations de chat, type toilette, bâillement etc (pour ma part, broderie, écriture, peinture), tout en dressant vaguement l'oreille quand il reconnaît un mot (en particulier son nom :p). Je précise que, dans ces conditions, mon élocution s'appauvrit de jour en jour et je me demande même si je vais réussir à tenir un discours cohérent (si ca m'est jamais arrivé) quand je serai revenue à la "civilisation". D'un côté je crois que j'aime bien le côté "badass", ces deux types bien dans leur jus qui se font des blagues plus ou moins grossières, en écoutant de la musique bien locale et en dévorant une bouillasse bien typique aussi. Je vis mon film on va dire.


 

J'aime la vie de sauvageonne, celle qui vit avec deux vêtements sur le dos et qui passe dix minutes tout au plus le soir et le matin dans la salle de bain. Celle qui ne se demande pas trop comment elle va s'habiller aujourd'hui, non plus ce qu'elle va faire, pas plus que ce qu'elle va manger, et surtout ce qu'elle va devenir (bon ça c'est pas tout-à-fait exact). J'ai l'impression d'être (enfin) revenue à l'état d'animal, comme si c'était, en fait, la meilleure option pour un être humain.

J'ai l'impression de m'abandonner à la vie, dans un monde sans complication, sans papiers et sans administration, où je ne suis à la charge de personne et surtout pas à la mienne (ô joie et soulagement)... Un monde tranquille où le deal est simple: tu bosses 5 heures, et le reste tu t'en occupes pas, un monde basé sur un échange très clair qui annule beaucoup d'emmerdes...

Légende de la photo: Drôle de palmier... Vous remarquerez que cette charmante illuminée semble être confrontée à un grave problème identitaire... En effet, elle ne sait plus si elle est un arbre ou un être humain (ou un chat d'ailleurs...)...
 

Est-ce qu'il faut vraiment faire plus en fait? Avoir une carrière, du succès, un appart, une assurance vie? Bon j'avoue je viens d'énumérer tout ce que je recherche (à l'exception de l'assurance vie ok)... Franchement quand je vis comme ça j'ai juste envie de tout abandonner et me conformer à ce que la vie m'offre... au risque de s'en mordre les doigts un peu plus tard. Difficile de savoir reconnaître si on est bien parce qu'on a abandonné des ambitions vaines, ou si c'est juste une bonne porte de sortie comme on en a déjà connues, on tire le chapeau et salut... jusqu'à la prochaine grosse crise existentielle qui viendra à nouveau tout balayer du revers de la main, comme une bonne gifle là où ça claque bien, celle qu'on avait évitée jusque-là... 

Des fois j'ai comme l'impression d'être un taureau qui passe sous la cape du matador et s'égare en poursuivant une chimère. Ou bien le torero lui-même qui esquive les coups de corne en jouant avec un leurre. Est-ce que je berne moi aussi l'adversaire (moi-même) en lui jetant de la poudre aux yeux? Vaste question, et la bonne, ou la mauvaise, nouvelle, c'est qu'on dirait bien que de réponse il n'y en a point. 

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